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22 octobre 2010

Eva Joly, juste.

Retraites: le réquisitoire d'Eva Joly

 

Exclusif. " Etre Français pour Sarkozy, c'est être blanc et vivre à Neuilly. Il vit hors sol. Pour les retraites, l'effort est demandé uniquement aux plus vulnérables ", déclare Eva Joly.

   

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Retraites: le réquisitoire d'Eva Joly

                    

   

       

           

   

Elue eurodéputée en 2009 sous les couleurs d’Europe Ecologie, Eva Joly, 67 ans va briguer l’investiture verte pour la présidentielle de 2012. Celle qui fut jusqu’en 2000 un juge d’instruction  redouté, qui a ferraillé avec Tapie, Strauss-Kahn ou Roland Dumas, a ensuite travaillé pour les gouvernements norvégiens et islandais. Elle a arpenté le monde entier afin de lutter contre la corruption, la délinquance financière internationale et les paradis fiscaux. Aujourd'hui, elle estime  qu'il faut "retirer le texte sur les retraites et redonner du temps à la négociation", ...

 

Interview au parlement européen, en forme de réquisitoire...

 

Quel est votre sentiment sur l’actuel mouvement social ?

 

« Il n’y a pas eu de véritables discussions sur la réforme des retraites qui devrait être une réforme consensuelle. Tout le monde est d’accord pour dire que cette réforme est nécessaire. Là, nous avons une approche purement comptable, avec un faux bon sens qui consiste à dire que parce que nous vivons plus longtemps, il faut travailler plus longtemps.

On ne se pose pas la vraie question : qui peut partir à la retraite à 60 ans ? S’il faut 40,5 années de cotisations, il faut donc avoir commencé à travailler avant l’âge de 20 ans. Tous ceux qui font des études supérieures ne peuvent faire valoir ce droit à la retraite à 60 ans. L’effort est demandé uniquement aux plus vulnérables, à ceux qui ont commencé à travailler à partir de 15 ou 16 ans et qui, souvent, ont eu des métiers pénibles. Ces personnes ont aussi souffert de la dégradation de la situation des salariés, ont reçu de plein fouet l’augmentation de la productivité. On demande un effort à ceux qui ont déjà beaucoup donné et qui, à 60 ans, auront déjà cotisé 44 ou 45 ans ».

 

Les gens sont dans la rue pour les retraites mais beaucoup d’entre eux expriment également qu’ils ressentent un sentiment d’injustice, d’immoralité par rapport à l’argent facilement gagné par une certaine catégorie sociale…

 

« Il y a une dégradation de la condition des salariés, une réelle précarité. Il y a, d’un côté, cette dureté de la vie et, de l’autre, l’image indécente d’une catégorie sociale qui échappe à l’effort commun, qui échappe à l’impôt. Nous avons appris que le taux d’imposition de la femme la plus riche, grâce, entre autres au travail de la femme du ministre du Budget, est inférieur à 10%. Les infirmières sont davantage imposées...

Nous avons vu aussi la légèreté avec laquelle on traite la fraude fiscale. C’est quelque chose que je dénonce personnellement depuis 15 ans. Les paradis fiscaux sont faits pour ça, pour permettre à des Bettencourt de ne pas payer d’impôts plein pot. Ils sont faits pour que les multinationales ne paient pas d’impôts, pour que le poids de l’impôt pèse sur les classes moyennes.

Ce qui est nouveau, et on l’a bien vu ces derniers mois, c’est l’incroyable arrogance, l’absence de prudence. Quand on est pris la main dans le sac, plutôt que de reconnaître qu’il s’agit d’une énorme erreur, on vient nous dire que nous avons un gros problème avec l’argent. L’interview de Nicolas Sarkozy par Pujadas était à ce titre très révélatrice. Nicolas Sarkozy vit hors sol. Sa conception du monde est démodée, ainsi que sa vision de ce qu’être français, c’est à dire être blanc et vivre à Neuilly. C’est ça, sa norme. Il n’est jamais descendu à Saint-Denis.

L’épisode du Fouquet’s résume tout cela. La plupart des gens qui s’y trouvaient ont été décorés de la Légion d’honneur. Cela me bouleverse car j’ai beaucoup de respect pour le courage militaire. Les riches financiers de la campagne ne méritent pas la Légion d’honneur. Ce qui risque de se passer, c’est la fédération des mécontentements face à l’autisme ».

 

Un mot sur le fonctionnement de la justice ?

 

« L’arrogance, c’est aussi le verrouillage de la justice, du parquet. Malgré l’ordre de Jean-Louis Nadal, le procureur général à la cour de cassation, qui a demandé à Philippe Courroye de saisir un juge d’instruction dans l’affaire Woerth-Bettencourt, ce dernier ne le fait pas. C’est là que nous voyons bien les limites de l’organisation judiciaire qui est noyautée.

C’est un système qui, bon an, mal an, ne fonctionnait pas trop mal. Cela dépend en fait de la décence des dirigeants. On n’est pas obligé d’intervenir dans les affaires judiciaires. Jospin n’intervenait pas, le gouvernement socialiste n’intervenait pas. Là, on voit un procureur qui court pour contenir le feu. Mais on peut prévoir ce qui va en sortir ».

 

Il n’y aura pas de poursuites d’après vous ?

 

« Cela me paraît quand même difficile car Philippe Courroye fait quand même travailler des policiers de qualité. Il a par ailleurs beaucoup de gens qui savent. Je pense plutôt que l’on va circonscrire l’enquête, que l’on va en sacrifier quelques-uns. De Maistre sera peut-être poursuivi pour complicité de fraude fiscale, madame Bettencourt pour fraude fiscale. Mais personne n’ira voir les sorties de fonds de comptes en Suisse qui ont précédé la campagne électorale de 2007.

Résister à l’opinion publique, résister à l’analyse faite par le plus haut magistrat de France montre que l’institution ne fonctionne pas. Le recours à la justice est capital dans une démocratie. Là, on donne l’image d’une justice aux ordres ».

 

Vous avez été l’une des premières à demander la démission d’Eric Woerth…

 

« Oui. Pour moi, c’est une faute politique. Ce n’est pas le souci politique qui est déterminant mais la fidélité aux proches. L’intérêt des citoyens et surtout l’intérêt de la négociation sur les retraites était que le négociateur ne devait pas avoir de casseroles.

Là, le négociateur incarne l’injustice, il incarne l’hippodrome de Chantilly, il incarne la cession scandaleuse de 50 hectares de la forêt domaniale à vil prix à une société privée, il incarne la proximité totale avec Liliane Bettencourt parce que sa femme travaille pour elle, il incarne la personne qui a couvert, peut-être bien malgré lui, mais il est associé à la fraude fiscale et en plein milieu d'un conflit d'intérêts.

 

Vous faites allusion aux déclarations de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt ?

 

« Oui, elle assure qu’elle a remis une enveloppe de 150.000 euros à Eric Woerth pour Nicolas Sarkozy. On comprend aujourd’hui pourquoi Nicolas Sarkozy voulait supprimer le juge d’instruction. Aujourd’hui, avec l’affaire Karachi et ses développements, avec l’affaire Bettencourt, on comprend l’enjeu, on comprend qu’il était urgentissime d’empêcher un juge indépendant d’enquêter sur ces affaires qui concernent, de près ou de loin, le président de la République. Dans notre système judiciaire, le juge d’instruction est le garant de l’enquête indépendante. C’est terrible de penser que toutes les enquêtes, dans ce pays, peuvent être influencées par le gouvernement. C’est une menace contre la sécurité. J’ai beaucoup voyagé dans ma vie, travaillé avec des juges, des procureurs de pays en voie de développement. Je leur ai toujours dit qu’il fallait soutenir ceux qui menaient les enquêtes. Ce qu’ils disent tous, que ce soit en Europe, en Afrique ou en Amérique latine, c’est que la pression de l’exécutif est extraordinairement présente. Dans les pays démocratiques développés, on a des mécanismes pour protéger la justice des interventions de l’exécutif. A Madagascar, il n’y en a pas et les juges vous disent que résister à la pression de députés est très difficile ».

 

Pourquoi vous êtes-vous engagée en politique ?

 

« C’est une longue histoire. C’est malgré tout dans le droit fil de ma vie. Je n’ai pas arrêté de changer de fonctions, d’attributions. Je ne suis plus juge d’instruction depuis dix ans, j’ai ensuite travaillé huit ans pour le gouvernement norvégien avant d’accepter une mission en Islande.

J’ai compris pourquoi et comment la société dysfonctionne. Je suis allée voir le dessous des cartes. Cela avait commencé avec l’affaire Elf, cela a été conforté par tout le travail que j’ai effectué ensuite, y compris avec mon enquête en Islande.

J’ai décidé de partager cette connaissance et cette vision du monde. Pour le changer. Je ne veux plus que le monde soit dirigé par une finance prédatrice, rentière, qui prélève à son profit la plus-value produite par l’économie réelle. Je veux mettre l’intérêt du citoyen au centre des décisions politiques et non pas une petite minorité de gens.

Il se trouve que cela est aussi un objectif de l’écologie politique. L’écologie politique, qui est pour moi notre seul avenir, n’est possible qu’avec une forte implication et beaucoup de justice. Il m’a semblé que l’action politique était la seule voie pour que tout cela ne continue pas. J’ai passé des années comme conseiller d’autres hommes politiques. J’ai eu le bonheur d’avoir l’appui d’un état pour mes combats. Pendant huit ans, en Norvège, j’ai eu beaucoup de moyens, tous les budgets que je voulais. Et j’ai été confortée dans ma vision du monde ».

 

Ces paradis fiscaux, que représentent-ils ?

 

« Un chiffre, un seul : les flux financiers illicites qui quittent les pays en voie de développement, notamment à travers les prix de transferts illicites des multinationales et une exploitation sauvage des ressources, représentent dix fois l’aide au développement. L’aide au développement, c’est environ 100 milliards de dollars, les flux illicites, c’est 1.000 milliards de dollars. On peut aussi dire que la fraude fiscale sur le modèle Bettencourt, pour la France, c’est 50 milliards d’euros. C’est la moitié de notre déficit ».

 

Vous avez annoncé votre intention d’être la candidate des écologistes à la prochaine présidentielle. Quel est le calendrier ?

 

« Il convient tout d’abord d’achever la fusion entre les Verts et Europe Ecologie. Les primaires n’auront pas lieu avant mai ».

 

Combien de candidats pour ces primaires ?

 

« Je ne sais pas… ».

 

Cécile Duflot, secrétaire national des Verts, n’est pas très chaude pour la présidentielle. Elle la compare à « une tuerie ». Une campagne présidentielle, c’est en effet une multiplication de coups bas. Avez-vous peur ?

 

« J’ai toujours pensé que dans la vie le plus important n’était pas ce qui vous arrivait mais la façon dont vous le viviez. Dans la mesure où ce sont des événements extérieurs à vous-même, il faut les vivre avec les autres. Je n’imagine pas être toute seule. C’est une campagne collective. Nous serons porteurs d’une autre façon d’exercer le pouvoir. Ce sera dur, physiquement dur, oui. On rentre dans un tunnel dans sa propre vie. D’un autre côté, c’est limité dans le temps et je me dis que si cela m’arrivait, ce sera une expérience unique. Ce sera une opportunité fabuleuse de voir mes combats progresser ».

 

Quel sera votre objectif ? Faire un bon score au premier tour afin de pouvoir négocier avec la gauche des postes intéressants au gouvernement ?

 

« Je ne m’occupe pas de ça. Moi, je me dis que je vais porter, si c’est moi, un projet d’écologie politique autonome qui propose une nouvelle vision de notre modèle de société. Et comme je suis sûre qu’elle est bonne, j’espère bien que nous allons avoir beaucoup de voix. De là à savoir combien… ».

 

Recueilli par Eric NICOLAS

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